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Ta dose de pop culture des bières

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Par Juliette Phuong
30 mars · 5 mn à lire
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Ma bière, avec ou sans micro-agression ?

Rien à voir avec la bibine habituelle, un billet d'humeur.

Les micro-agressions c'est comme les piqûres de moustiques, ça peut pourrir ton kif.Les micro-agressions c'est comme les piqûres de moustiques, ça peut pourrir ton kif.

Aujourd’hui, tu n’apprendras rien sur la bière.

On va parler de micro-agression et même de racisme (oulala).

Aujourd’hui, ensemble, nous allons essayer d’apprendre un mot. 
Ce mot, nous ne le connaissons pas (très bien), ni vous, ni nous. 

Mesdames et messieurs, le mot du jour est : MICRO-AGRESSION (très bien prononcé)

Pour cela, mettons-nous en situation. 

Dans les concours de bières, il y a peu de femmes. 
Dans les concours de bières, il y a peu de personnes racisées (ou non blanches pour faire court).  

Je suis une femme racisée. Je devrais donc faire partie des minorités visibles, même si relativement discrètes.  

Or la vie brouille les pistes en mettant plusieurs femmes racisées dans les concours. Plusieurs femmes sino-descendantes en plus (les sino-descendantes ressemblent à des Chinoises mais elles ne viennent pas systématiquement de Chine) !

Mince alors on s’y perd ! 

Aparté 
Mon travail d’adulte responsable, c’est de former des gens à travailler ensemble, sans se discriminer, sans s’agresser involontairement etc. Forcément ça déteint un peu sur la bière, qui est plutôt un job kiff/associatif. J’en parle ici parce que cela m’est arrivé récemment dans le milieu de la bière, mais des histoires de micro-agressions, y en a pour tout le monde, dans toutes les sphères. 

Dans les concours de bières, je croise souvent des gens qui me disent bonjour de loin, des coucou en passant, des mouvements de mains et des regards aimables. 

Et c’est très sympa. 

SAUF ! 

Sauf que clairement, 1 fois sur 5, on me confond avec une autre personne. 

C’est un bonjour qui dit : “hé on s’est vaguement parlé l’année dernière (ou hier), j’ai oublié ton prénom mais ça me fait plaisir de te revoir, coucou !” 

→ Dans les starting blocks : une bonne intention humaine, une douceur joufflue dans ce monde de brutasses et de réseaux sociaux. 

À l’arrivée : une énième brûlure d’estomac pour moi. 

Je ne parle même pas des gens qui me frôlent en disant : “hé salut PrénomDeQuelqu’unD’autre”. À ceux-là, je réponds comme si de rien n’était, pour continuer à brouiller les pistes de “ces femmes asiatiques qu’on ne distingue pas bien les unes des autres”.

Ce n’est pas vexant

Non mais c’est bon, j’ai appris à mettre des mots sur mes émotions et à identifier leurs racines. 
Quand on me confond ENCORE avec une autre personne d’origine asiatique, je ne suis pas vexée, je suis exaspérée.  

Je perds instantanément foi en l’humanité, la faune et la flore. 
Y compris ce petit chat trop mignon qui loupe son saut et qui finit dans le panier de linge sale. 

Ce qui me tue, c’est cette solide assurance que je perçois dans leur regard.
Ils n’ont AUCUN doute que c’est bien moi la personne qu’ils croient reconnaître. 

Pendant que moi, avec mon regard de poisson mort, je leur envoie télépathiquement : plutin mais tu ne connais qu’une seule asiate dans ta LIFE ? 

(Je ne raconte pas celle où j’ai dit “ah non c’est pas moi” et l’autre tabouret bancal me répond “ah mais tu lui ressembles de ouf c’est une japonaise” parce que là, je n’ai pas assez de chocolat noir sous la main pour tenir le coup.)

Rappel, des fois que.

  • Confondre des gens, non c’est pas grave ça arrive, mais là on ne parle pas QUE d’une étourderie

  • Non il n’y a pas des gens racistes d’un côté, des gens pas racistes de l’autre

  • La meilleure personne pour analyser et nommer un schéma récurrent dans sa vie, c’est elle-même

  • Quand bien même on serait certain qu’il ne s’agit pas de racisme ou d’intention malveillante, cela n’efface pas les expériences

  • Si tu ne comprends pas du tout le point de vue, c’est peut-être qu’il te manque des éléments de compréhension, et non pas que la personne s’est trompée. 

Oui je sais qu’il faut définir la micro-agression.

J’y arrive. 

Il existe plein de définitions, celle que je préfère est celle du psychologue Derald Wing Sue. 

Ce sont de “brefs échanges quotidiens qui envoient des messages dénigrants à certaines personnes en raison de leur appartenance à un groupe”. L’article Wikipédia complète avec : Les personnes qui font les commentaires peuvent être par ailleurs bien intentionnées et ignorantes des conséquences potentiellement négatives de leurs paroles. 

Une excellente animation assimile la micro-agression à une piqûre de moustique. Petite contrariété anodine ? Inoffensive ? Pas à long terme, non. 

La micro-agression est une petite bombe sociale. Quelqu’un la jette, nonchalamment, et il suffit que l’on dise “hey mais c’est une bombe ça ?” pour qu’elle pète à la tronche, de préférence à la personne qui l’a débusquée. 

Oui, si tu es la personne qui désigne le sexisme / racisme / validisme etc. par son nom, tu deviens la personne qui pète l’ambiance, tu deviens responsable du chaos social et de l’équilibre de l’univers. 

Hopopop ! Gardons confiance. 

Certaines histoires pourraient se terminer de façon positive, avec des pépites d’optimisme dedans. 

Lors d’un concours de bières à Paris, je faisais partie du flot de juré·es qui s’engouffrent dans les salles immenses pour trouver leurs tables. En passant une des portes, je suis interpellée par un petit groupe de personnes faisant partie de l’organisation. 

Lui : Vous étiez déjà là hier vous non ?
Moi : Euh non pourquoi ?
Lui, en parlant à un autre et avec un sourire dédaigneux : Elle vient tous les jours, elle.
Un autre, en ne me parlant pas : Non c’est sa sœur.
Moi, totalement ahurie : Mais. Pardon ?
L’autre, en me faisant signe de la main d’avancer pour ne pas bloquer la foule : Non mais vous vous ressemblez.

Analysons de manière factuelle cette douloureuse et brève interaction dont je me souviendrai toujours, malheureusement, tandis que les personnes responsables l’ont oubliée dans la seconde qui a suivi. 

Ces deux nullos (non ça c’est pas factuel) m’ont confondue avec une autre personne d’origine asiatique. 

Ce que je comprends de leur raisonnement : 

  • Toutes les asiatiques (ou chinoises) se ressemblent ou sont de la même famille. Franchement, ma sœur, elle leur aurait pourri la tronche. 

  • Les asiatiques (ou chinoises) sont des gratteuses. Oui, ce sourire dédaigneux, je l’ai déjà vu des milliers de fois, je n’ai aucun doute et je suis pourtant une personne qui doute énormément. 

  • C’est tout à fait ok de m’interpeller pour ensuite m’ignorer. 

J’ai signalé l’interaction auprès du concours, qui m’a présenté des excuses et m’a demandé plus d’informations pour identifier les personnes. 
J’ai accepté les excuses mais refusé d’aider à identifier les personnes. 

Si je ne suis pas présente, on ne peut pas confronter les versions, donc c’est forcément injuste pour quelqu’un. En plus, je n’ai pas envie de confronter des versions, j’ai plein de bières à boire, plein de vidéos de broderie à regarder. 

Ces personnes n’avaient pas pour mission de micro-agresser les juré·es. Elles l’ont fait spontanément, de façon ignorante.

Mais dans le cadre de leur travail, je pense qu’il s’agit de la responsabilité de l’employeur de former leurs équipes, toutes leurs équipes, pour que ces micro-agressions n’aient pas lieu. Pour que l’accueil des juré·es soit respectueux et inclusif. 

Du coup, je leur ai conseillé de former leurs équipes. Ils ont accusé réception et je ne suis pas allée jusqu’à leur faire un devis. Je devrais peut-être. 

Pour terminer, plusieurs pistes pour ne plus micro-agresser en confondant les gens. 

Soit tu fais comme moi tu ne reconnais absolument personne parce qu’il manque clairement des connexions dans ton cerveau pour sociabiliser. 

Et tu assumes. 

Par exemple, j’explique souvent aux gens que mon cerveau a besoin de nombreuses interactions avant d’associer un nom à un visage. Mais ça ne passionne personne et c’est bien compréhensible. 

Soit, tout bêtement, tu peux exprimer des points d’interrogation dans ton regard ou dans ta voix. “Bonjour, on s’est rencontré l’année dernière non ?” et l’exercice de politesse passe, parce que comme je suis polie aussi, je dirai un truc comme “Ah oui c’est possible, bonjour !” et voilà. Sauf si je suis grognon, dans ce cas je répondrai “Ah non je ne crois pas”, on se sourira poliment et ce sera plié. 

Ça rend service à tout le monde, racisé ou non. 

Et après on (re)prend une bière, tranquille. 

Bisou ?


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